La scène n’est pas confirmée mais, vu le contexte national, elle reste vraisemblable. A la femme qui lui rappelait que, par sa Constitution, l’Algérie est “une République démocratique et populaire” et qu’elle était donc libre de se mettre en maillot de bain sur la plage, l’agent de l’ordre oppose “el qanoun taâ rabbi”, la loi de Dieu.
L’argument de cette intervention policière contre une femme en maillot de bain sur une plage est que sa tenue pouvait agresser les sens des hommes présents. La question ne réside cependant pas dans le bien-fondé doctrinal ou non de la fetwa ; elle est dans le fait que l’ordre religieux vienne, d’autorité, appuyer l’ordre public, en réformer les règles et, parfois, s’y substituer. Et cela sans que l’ordre en place n’assume son statut d’ordre théocratique.
Car, si la Constitution algérienne proclame l’islam religion d’Etat, elle revendique en premier son caractère républicain et n’endosse nulle part l’autorité effective de la charia. En théorie, ce qui n’est pas interdit par la loi devrait être donc permis. Or, en pratique, on assiste à une grande liberté d’interprétation juridique, quand il s’agit d’établir le délit d’atteinte à la religion.
L’article 144 bis 2, initialement dédié à la répression les délits de presse envers la religion, punit de trois à cinq ans de prison toute personne qui “dénigre le dogme ou les préceptes de l’islam que ce soit par voie d’écrit, de dessin, de déclaration ou tout autre moyen”. Ce “tout autre moyen” laisse la porte ouverte à toutes les présomptions et le, “moyen” définissant le crime, le port d’un maillot de bain sur la plage en temps de jeûne peut constituer une offense au ramadhan et, partant, à la religion ?!
Il n’y a pas qu’en matière de répression religieuse que le problème se pose. On l’a vu avec la répression des manifestants et activistes du hirak : quand il n’y a plus de limite formellement tracée à l’interprétation de l’homme de loi, l’abus menace la loi. Surtout quand cet abus va dans le sens de la politique de répression en vigueur… il peut faire vite jurisprudence.
Le pouvoir a, d’ailleurs, dû légiférer à nouveau pour donner un minimum d’assise légale à une démarche d’étouffement physique d’un mouvement politique. Il en a aussi profité pour créer un article voué à la protection des imams contre la diffamation alors même qu’il existe un article, le 144 bis, punissant…la diffamation.
A l’évidence, il y a là un message politique à l’endroit des activistes islamistes exclus de l’animation nationale suscitée par l’épidémie au profit des gens de science. Ce qu’il y a de dangereux dans l’empressement politique autour de tout ce qui se prévaut de la légitimité religieuse, c’est que cette prévenance prétend désamorcer le potentiel de nuisance du mouvement islamiste.
Ce faisant, on encourage l’intégrisme à cultiver, dans l’apparence comme dans les faits, cette tendance à user de la peur et de l’intimidation contre les citoyens qui ne se soumettent au diktat islamiste. Et les institutions étant, en matière humaine, un prolongement de la société, la traque se poursuit jusque dans ces institutions. Celui qui est converti à l’ordre islamiste est automatiquement converti, là où il se trouve, à la fonction de vigile islamiste.
M. H.
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