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La Psychologie en Algérie

Sommes-nous tolérant ?

12 Août 2009 , Rédigé par Haddar Yazid Publié dans #POLITIQUE

« La couleur de l’eau, c’est la couleur de son récipient »

Ibn Arabi.

 

La tolérance est une des valeurs nécessaire pour la cohabitation entre les différents membres d’une société. D’où chaque individu peut avoir une vision subjective du monde, une pensée opposée à la pensée dominante et un mode de vie déférents des autres. La vertu de la tolérance s’est de faire respecter et de cultiver cette différence, et ce n’est pas la juger et la condamner. Or la tolérance ne peut pas être effective ou active (ou positive, comme le nome Mohamed Arkoun) si l’individu n’est pas doté d’un esprit critique, c’est-à-dire d’une capacité à se remettre en question et, surtout, de ne pas prétendre de posséder la Vérité. Cette capacité de « se douter » devrait être l’essence de toute forme de pensée, car seul « le doute » permet de stimuler notre curiosité et d’aller vers l’autre. Ainsi l’autre peut nous aider à nous comprendre, à renouveler nos pensées, à trouver les mécanismes communs entre celle des autres et les notre, ce qui acquiesce de relativiser nos valeurs. L’intolérance, écrit Malek Chebel, a son origine dans l’ignorance que nous entretenons les uns vis-à-vis des autres, au mépris des leçons de l’histoire. Pour que la tolérance devienne active, Mohamed Arkoun[1] exige deux conditions fondamentales soient remplies :

 

  1. L’existence d’un Etat de droit qui permet l’expression de toutes les positions doctrinales et publication de toutes les œuvres artistiques, même lorsqu’elles touchent à des sujets sacralisés par le temps ; cette liberté n’exclut pas l’examen critique de la responsabilité  intellectuelle de l’auteur ;
  2.  L’existence d’une société civile suffisamment travaillée par la culture philosophique et juridique de la tolérance pour jouer le rôle de partenaire de l’Etat de droit.

 

C’est parce que ces deux conditions sont réunies, écrit M. Arkoun, dans les pays démocraties avancées de l’Europe occidentale que la loi sur le blasphème est tombée en désuétude. Au contraire, précise-t-il, les sociétés dites musulmanes soulignent deux évidences majeurs de leur existence historique : elles n’ont jamais esquissé de cheminement conceptuel vers la notion moderne de l’Etat de droit, et de larges pans de ces sociétés cherchent à imposer des confusions, entre expérience spirituelle du divin et production sociale et historique du droit, que la pensée médiévale parvenait à éviter ! Dans ces conditions, l’émergence d’une société civile demeure partout timide, précaire. Dans plusieurs pays, on constate même l’introduction d’une culture de l’intolérance dans les programmes scolaire d’enseignement religieux. Dans ce cadre exactement, nous avions fait une étude sur « l’idée de la tolérance fait-elle partie de l’éducation morale dans le programme scolaire enseigné en Algérie ? »[2]. Cette étude a été réalisée sur les deux disciplines : l’éducation islamique et l’éducation civique, précisément en deuxième palier (4°, 5°, 6°) de l’école fondamentale, c’est-à-dire chez des enfants âgés entre 6-10 ans. A notre grand étonnement les textes de l’éducation islamique enseignés, en deuxième palier, nous n’avions découvert qu’une seule allusion à la tolérance (6ème, leçon 54). Cependant, nous avons découvert que le mot « Kafir » impie, dans son sens archaïque, c’est-à-dire ils assimilent un impie à un non-musulman, à quelqu’un de la « djahilia » (du temps de l’ignorance), dans les manuels (4ème, leçon 14). Dans le même ordre d’idée, nous avons trouvé que la notion de « djihad » (combat) est enseignée aux élèves du 6ème (cf. leçon 10). Cette notion, djihad, est enseignée en tant que devoir (Faridha) pour chaque musulman, à des élèves qui n’ont que 6 ans à 8 ans.

 

Au terme de cette analyse, nous avions constaté que la valeur de la tolérance, telle que les nations unies l’ont proclamé en 1948, n’est pas introduite dans les manuels d’éducation islamiques. En outre, les concepts, tels qu’ils étaient[3] dans les livres scolaires n’étaient pas adaptés à l’évolution des valeurs universelles et du vécu actuel. Une des raisons qui a fait que toute une génération adopte des comportements intolérants. Mais ces comportements intolérants sont renforcés par l’introduction à haute outrance de la religiosité dans toutes les disciplines et à tout ce qui touche la vie au quotidien d’un individu dans la société algérienne. Ce qui multiples les violences envers les individus les plus faibles, comme les femmes, les enfants et les personnes âgées.

 

L’exemple les plus remarquant, c’est dans la presse national à l’ouverture du festival du PANAF à Alger 2009, des groupes de danseuses africaines dansent aux seins nus, qui est culturellement vrai, alors nous avons lu dans quelques quotidiens qui scandalisent cette attitude, en occurrence c’est une mise en cause de la culture de l’autre, un manque de respect à la culture de l’autre. Il me semble que ce genre de réactions ne relève pas uniquement d’intolérant mais intolérable par cette presse. Car comment voulez-vous inculquer aux nouvelles générations la valeur de la tolérance s’ils n’arrivent pas à accepter les autres tels qu’ils sont ? Doivent-elles porter un voile ? Dans ce cas, pourquoi que cette même presse crée au scandale et à l’intolérance à la réaction des européens quant ils sont choqués de voir les femmes porter la « bourka» ! Et portant cette même presse qui fait sa Une avec un ex-sanguinaire, qui a tué des centaines de milliers d’algériens,  sans demander des excuse à ses victimes, ni épreuve un regret, ni culpabilité de ses actes barbares et inhumaine et ce bourreau à le droit d’être un Cheikh ! Ce genre d’attitude exaspérante choque des milliers de personnes algériennes, qui ont été victime de loin ou de près de cette période noire de notre histoire. L’intolérable, écrit M. Arkoun[4], est tout ce qui minimise, retarde, compromet, nie le déploiement optimal de la personne humaine dans le respect raisonné de sa vocation humaniste, de son environnement social, culturel, idéologique, cosmique. Ajoutons tout de suite, poursuit M. Arkoun, un trait essentiel : l’intolérable est très souvent ce que l’esprit rejette avec force mais qui continue à s’imposer dans des faits comme pour manifester l’incapacité radicale de l’homme à dépasser ses contradictions.

 

Aujourd’hui, écrit M. Arkoun[5], lorsque des Ulamâ sélectionnent des versets du Coran et des hadîth du Prophète pour prouver que l’islam est une religion tolérante, lorsque des intellectuels plus laïcisés tentent de conduire la même opération en s’adressant aux penseurs, écrivains et poètes classiques, ils reproduisent la préoccupation morale et sociopolitique européennes au XVIIème et au XVIIIème siècle ; mais en même temps, ils ignorent ou dénaturent le geste intellectuel de ces derniers. La raison des Lumières avait bien compris les enjeux philosophiques de la confrontation, exprimés pour la première fois dans l’histoire générale de la pensée, entre les intérêts et les limites de la raison religieuse/idéologique et ceux de la raison critique. C’est à ce niveau que se joue soit le triomphe d’une tolérance participante, soit la reproduction des tolérances tactiques, à sens unique.

 

Il est facile de faire de beaux discours sur la tolérance, mais le plus important est la mise en application de cette tolérance pour qu’elle ne devienne pas lettre morte. Les exemples ne manquent pas dans notre société, parfois l’intolérance est devenue une norme au point qu’elle ne choque plus personne. L’exemple du mois du Ramadhan illustre cette dichotomie entre ce que certains Algériens pensent et ce qu’ils font. Lorsqu’on leur parle de la pratique du Ramadhan, tout le monde vous répond en citant les versets qui se rapportent au sujet, or si vous êtes malade et voyageur, touriste, non-croyant, vous avez le droit de ne pas l’appliquer, ce qui est autorisé par le Coran. Cependant, sur le terrain nous avons tous en têtes des exemples d’ouvriers qu’ont été jugés pour non-respect de la pratique religieuse, en l’occurrence le Ramadhan. Sans oublier le lynchage par de simples citoyens, où chacun se sent obligé de vous rappeler à l’ordre. Un ami étudiant congolais m’avait raconté une fois qu’au cour du mois du Ramadhan, il s’était permis de fumer dans le campus universitaire, car il ignorait qu’il était interdit de fumer au cours de ce mois sacré. Il m’a raconté que tout un groupe d’étudiants l’ont encerclé avec des bâtons à la main pour le rappeler à l’ordre. Les exemples peuvent se multiplier vu l’ampleur du phénomène. Sur le plan individuel, vous l’avez sûrement constaté, beaucoup d’Algériens ne parviennent pas à tolérer l’opinion qui contredit leurs dires, leurs pensées. Parfois, ceci mène au meurtre. La presse nationale a rapporté qu’un étudiant a poignardé un autre étudiant car la veille, cet étudiant l’avait humilié, selon ce dernier. Cet exemple est une illustration d’intolérance et aussi de cette incapacité à se remettre en question. Cet étudiant est le « produit » de se son milieu, de son époque ; sa croyance est celle de ses parents et de ses maîtres. Quand les psychologues et les philosophes insistent sur l’importance d’enseigner l’esprit critique, ceci n’est pas anodin. Car l’esprit critique a des influences sur le plan individuel et par conséquent sur la société. Dans une correspondance entre le philosophe Marcel Conche[6] et Lucie Laveggi, il écrivait : « Mes élèves étaient, pour la plupart, de confession chrétienne. Ils eussent été singulièrement déçus s’ils avaient décelé quelque désir, chez moi, de les convertir à mon athéisme. Mais ils sentaient qu’un tel « but » m’était totalement étranger. Qu’ils soient catholique, soit ! Et s’ils sont en défaut d’argumentation, je leur en fournis. Mais qu’ils n’absolutisent pas leur croyance comme s’ils savaient que toute autre était folle, comme s’ils avaient le monopole de la raison, alors que la raison métaphysique est nécessairement éclatée. Scepticisme, oui, générateur d’acceptation de l’autre, de tolérance et de paix. Mais après le scepticisme doit venir la méditation, exercice sans équivalent dans d’autres disciplines, et par lequel l’individu, dans l’intimité de sa réflexion, décide pour lui-même de ce que sera sa vérité. ». Cette correspondance rapporte l’importance que peut jouer l’enseignement de la philosophie[7] pour permettre à nos étudiants d’intégrer dans leur mécanisme de pensée de relativiser leur vérité. Le Père Pierre Claverie affirmait que l’humanité n’est que plurielle. Il croyait que nous pouvions vivre tous ensemble avec nos différences, à condition qu’aucun groupe ne puisse prétendre posséder la Vérité et ne se permette d’imposer sa vérité à l’autre ; au contraire « j’ai besoin de la vérité de l’autre », écrivait le Père Pierre Claverie.

 

Yazid Haddar.

Auteur du roman « le hasard parlant » aux éditions Edilivre, Paris 2009.

 

 

 



[1] Ouvrage collective de l’Académie Universelle des Cultures,  p 198, Grasset, 1998.

[2] C’est une étude que j’ai réalisé dans le cadre des mes études universitaire encadré par Mr Tahar Abci, à l’université d’Alger en juin 2000.

[3] Car en ce moment il y a des modifications, mais qui restent très timides à la vertu de la tolérance.

[4] Idem note 1, p 201.

[5] Idem note 1, p 201.

[6]Cf. Vivre et philosopher, p 189-190, 1993.

[7] Pas n’importe quelle philosophie, il est important d’enseigner l’ensemble des courants philosophiques existants. Nous aurons l’occasion d’aborder la question de l’enseignement de la philosophie depuis l’Indépendance à nos jours et son influence sur la formation de notre élite.

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