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La Psychologie en Algérie

Soigner la souffrance de l’exil, une formidable façon de travailler le sien

24 Janvier 2010 , Rédigé par Haddar Yazid Publié dans #PSYCHOLOGIE

 

Dans un récit autobiographique peint de nostalgie, Ces exils que je soigne (*), Taïeb Ferradji, psychiatre à Bobigny, raconte son exil en France pendant les années 90. Alors qu’il était jeune médecin, son statut social ne lui a épargné ni le douloureux arrachement à son pays, ni le ressentiment à l’égard de la société française. En écoutant ses patients émigrés, il soigne sa propre souffrance d’exilé et construit sa résilience.41elEYox30L._SS500_.jpg


Par LamiaTagzout

-  Ces exils que je soigne, pourquoi le choix du pluriel ?

Le titre a été choisi avec les responsables de la collection. C’est pour moi un jeu de mot et un clin d’oeil à une situation complexe et des histoires multiples. D’ailleurs, peut-on vraiment soigner l’exil ? Jean Guitton disait que « le plus court chemin de soi à soi, c’est l’autre ». Alors écouter le récit d’autrui et soigner la souffrance de l’exil peut être une formidable façon de travailler le sien. Enfin, la question du pluriel est pour moi indissociable de celle de l’exil qui, avant d’être une épreuve ou une expérience, est d’abord une rencontre, et toute rencontre est par essence plurielle.

-  Le choix de votre spécialité (psychiatrie) est-il en rapport avec votre vécu ?

S’agissant du choix de la spécialité, je peux juste vous dire qu’à la fin de mes études médicales générales et du choix de la spécialité, mon classement me permettait largement de m’orienter vers une autre spécialité. Le choix de la psychiatrie est pour moi ce qu’on pourrait appeler un choix du coeur. Et le psy que je suis vous dira que tout choix est obligatoirement en rapport avec le vécu…

-  Auriez-vous écrit ce livre de la même manière si vous n’étiez pas en exil ?

Le fait que je vive en France a certainement à voir avec l’écriture de ce livre, mais surtout avec la forme et le contenu. Je ne l’aurais sûrement pas écrit de la même façon s’il n’y avait pas eu l’exil, enfin, je crois...

-  En écoutant vos patients, n’est-ce pas vos « propres blessures » que vous soignez ?

J’ai eu, notamment à travers le travail d’analyse, un espace pour soigner « mes propres blessures » et je continue ce travail à travers une supervision régulière. La phrase que vous citez est une métaphore du lien que la dialectique des soins aux migrants induit chez moi. En revanche, ma propre expérience de la migration me les rend plus proches et me permet de mieux assurer cette fonction de passeur entre des univers parfois contradictoires, voire en conflit.

-  Vous évoquez, dans votre livre, des expériences qui ont marqué votre vie : le décès de votre mère, le remariage de votre père, le printemps berbère (1980), l’assassinat du docteur Boucebci, octobre 1988, etc. Comment vivez-vous ces souvenirs en exil ?

En effet, j’évoque des expériences et des moments marquants de mon parcours, mais ceux-ci, comme vous devez vous en douter, ne sont pas les seuls ni les plus marquants. Ce sont juste des instantanés d’un parcours qui permettent de témoigner du regard qui est et reste le mien sur mon pays, mes proches, et l’histoire, avec ou sans histoire, d’un enfant né en Kabylie et dont la trajectoire va le mener dans une espèce de mouvement centrifuge de plus en plus loin de son berceau culturel et des siens. C’est aussi pour moi une façon de rendre hommage à la sagesse de mes parents (et de tous les parents comme eux) et à la profondeur de mon pays et de sa culture. N’est-ce pas une façon de les garder vivants que d’en parler ? Je souhaitais aussi témoigner à travers ce récit du fait que d’où qu’on vienne, même quand c’est de très loin, il est toujours possible d’arriver quelque part. En exil, ces souvenirs sont là pour me rappeler, si besoin est, que je reste malgré tout l’enfant de ce village haut perché en Kabylie, qui garde une tendresse infinie pour les siens et qui sait, comme le disent les sages et griots africains, que « quand on ne sait pas où l’on va, il faut s’asseoir et regarder d’où l’on vient ». Je suis maintenant parti depuis de nombreuses années d’Algérie, alors il m’est difficile de dire si mon regard serait resté le même. Je me demande si ce n’est pas davantage l’âge et l’expérience qui changent notre regard plus que le lieu à partir duquel on le porte. Fondamentalement, mes liens avec les miens ne peuvent être ébranlés par les vicissitudes de l’histoire et mon regard sur les miens sera toujours celui de la fraternité et du pardon.

L’auto-thérapie d’un exilé

Il se souvient du village de son enfance, Ath Argane, perdu dans la montagne kabyle où, malgré la pauvreté, lui-même et sa fratrie n’ont manqué ni d’affection ni d’éducation. De ses études au coeur de la Kabylie insurgée pour ses revendications démocratiques. De l’assassinat par les islamistes de son professeur et guide, le docteur Boucebci, un des fondateurs de la psychiatrie en Algérie. C’est une autre Algérie, son Algérie, que décrit l’auteur en relatant des tragédies. En parlant de l’enfance, la lucidité est bien présente. Mais le trouble atteint le lecteur dès la première lettre et jusqu’au point final. L’auteur a tenu également à donner une place importante à ses proches, à savoir ses parents, en rendant hommage à leur courage et aux sacrifices pour leurs enfants, en dépit d’une situation précaire qui a permis de souder les liens de la famille. Aujourd’hui, le psychiatre exerce son métier en France, une terre d’exil qui l’aide à se rapprocher encore plus de ses patients, notamment les migrants vivant les mêmes souffrances et bouleversements, confiés parfois en tamazight, sa langue maternelle. Les efforts et les sacrifices du jeune Kabyle l’ont propulsé à des postes importants : rédacteur en chef d’une revue (L’autre) dédiée aux questions transculturelles et de migration (www.clinique-transculturelle.org), responsable de la seule équipe française spécialisée dans ces questions (à ce titre il anime une consultation à l’hôpital Avicenne anciennement franco-musulman spécialisée dans la prise en charge des migrants et du trauma). Ces exils que je soigne est le premier livre personnel de Taïeb Ferradji, qui travaille déjà sur deux nouveaux ouvrages, dont une suite et un recueil d’entretiens avec le peintre Denis Martinez sur les chantiers itinérants qu’il anime à travers la Kabylie depuis le début des années 2000.

(*) Ces exils que je soigne, La migration d’un enfant de Kabylie. Les éditions de l’Atelier, Paris, février 2009.
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