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La Psychologie en Algérie

« La liberté de pensée »

11 Août 2010 , Rédigé par Haddar Yazid Publié dans #Vu dans la presse

 

C’est le titre d’une célèbre chanson de Florent Pagny, c’est aussi le titre d’un traité philosophique de Voltaire en 1760, mais en ce qui me concerne, je la situe dans le contexte universitaire dans lequel j’évolue.



Par Haffaf Hafid ( Professeur en informatique. Université d’Oran )

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Pascal nous dit que la pensée fait la grandeur de l’homme, car elle lui permet de se représenter ce qu’il est, de se représenter le réel par concepts. Conjuguée à la liberté, elle repousse les limites de notre cerveau à produire de l’intellect. Le processus de mondialisation qui accélère les changements économiques et sociaux devrait s’accompagner de celui du renouvellement des ressources intellectuelles puisées dans les gisements naturels des laboratoires de recherche, des vagues successives de diplômés universitaires, des nouvelles idées qui émanent de débats contradictoires à travers les associations apolitiques et civiles, des découvertes scientifiques et technologiques qui ont un impact réel et positif sur le bien-être de la population. La formation de l’esprit critique doit commencer dès le plus jeune âge, cependant, le but de mon article est de montrer que ce n’est malheureusement pas dans ce sens que l’on le dirige.

Subordonner l’aspect scientifique aux contraintes et procédures administratives caractérisées par la rigidité, la lourdeur bureaucratique, l’arbitraire (parfois) et le manque d’ouverture spirituelle est de nature à briser les élans et les velléités progressistes et prospectives. Il est difficile d’imaginer l’avenir de l’université si la gestion, telle que conçue par certains, laisse peu de latitude aux sous-responsables qui peuvent être évincés plus pour des raisons d’indocilité que d’incompétence, si on n’arrive pas à dissocier le phénomène de valorisation de la recherche de celui des méthodes et balises qui y conduisent, si ceux qui ont à cœur de nous faire sortir de cette inertie n’ont pas droit (ou plutôt voix) au chapitre, et si le flou persiste pour savoir qui est au service de quoi. Dans les pays communistes, les intellectuels sont poursuivis pour leurs opinions bourgeoises dès qu’elles s’écartent de la doctrine du parti et de la propagande officielle, la liberté de penser est réduite par la censure du pouvoir en Iran où la presse est soigneusement muselée. Les pays préfèrent rechercher le profit à court terme en culminant les compétences utiles et rapides à fabriquer, ils renoncent imprudemment à l’investissement à long terme qu’est celui de la formation de base et de la curiosité scientifique nourrie par la capacité d’exercer « librement » son esprit critique, de pouvoir comparer avant de choisir sur la base de critères viables.

Ne pas sortir des sentiers battus semble être le maître mot que cela soit au niveau pédagogique, scientifique ou managérial. En effet, l’université demeurée au fil des siècles parmi les rares endroits à l’abri des expressions de force, un lieu où des discours qui professent paradoxalement l’ouverture, est en train de glisser vers un mode à la caserne, où le chef, le professeur, l’agent… ont toujours raison, vers une mise au pas (à l’instar de celle de la société) qui fait craindre des lendemains peu reluisants. Les outils aussi bien que les démarches sont de plus en plus imposés, et par conséquent de plus en plus contestés (les protestations font tache d’huile), réduisant la liberté de pensée, et par ricochet, celle d’agir aux plus simples expressions. Privant les jeunes cadres de réaliser des projets novateurs, marginalisant les compétences qui se dressent en opposition, ce dirigisme fatal est en contradiction avec l’ouverture du savoir et l’objectif de produire des citoyens démocrates ; sans conviction, l’aspect exécutoire prime sur le rationnel. Ce système, une fois mis en place, est autoréplicatif, il se reproduit telle une épidémie à tous les niveaux.

L’étudiant se voit disposer d’une série de faits sans avoir la perspicacité de juger, on assiste à des cours magistraux ternes qui n’intéressent plus, on n’y assiste qu’occasionnellement, où les paradoxes peuvent passer sans soulever le moindre étonnement, sans feed-back, sans participation active, et sans questions-réponses. Ceux qui s’aventurent à comprendre ou s’expriment correctement en français sont tels des extraterrestres, taxés de phénomènes étranges, pointés du doigt s’ils ne sont pas carrément écartés. Par leur soif de percer les mystères de la nature, ils dérangent la quiétude des gardiens du temple du conservatisme nationalo-linguistique. Au niveau pédagogique, l’étudiant, une fois ses modules acquis et par la rareté des explorations académiques hors période de travail (avez-vous vu un jeune bouquiner pendant les vacances ?), il a déjà tout oublié ; à la prochaine rentrée universitaire, il aura entre temps « formaté » son cerveau et suivi une cure d’apprentissage à l’envers. Il n’y a pas de mécanisme de construction des connaissances et d’apprentissage qui facilite leur assimilation par couches, ni leur mémorisation à long terme. Le gestionnaire tétanisé se doit d’appliquer à la lettre les instructions venant d’en haut, et l’enseignant, apeuré par un excès de prudence dans l’exercice de ses pensées, est astreint d’appliquer un contenu peu adapté pour ne pas dire caduque dont il n’est pas imprégné et dont il ne fait souvent pas l’effort d’actualiser.

Les copies, les travaux pratiques, les langages de programmation doivent être conformes à ce que veut l’enseignant. Le contenu des programmes a sacrifié les aspects qui stimulaient l’esprit critique au profit de ce qui aide à avoir des bonnes notes, c’est-à-dire des modèles façonnés et des prototypes prêts à l’emploi, et les sujets d’examen deviennent impossibles à traiter dès que les exercices ne sont pas des reproductions - où on a pris le soin de changer les données - des fiches de travaux dirigés. L’absence cruelle d’imagination commence à l’école par la rédaction ou bien l’expression écrite qui est souvent une simple réorganisation des phrases dans le bon ordre. Dans un marasme durable, tout est objet finalement ; pour tout un chacun et parce qu’on lui dit qu’il n’a pas la maturité pour le faire, il se trouve que l’on a décidé pour lui, réfléchi à sa place et résolu son problème sans considération de cette dimension humaine qui fait la différence pour qualifier ses porteurs d’intelligents. Le résultat est désolant : au lieu d’apprendre à convaincre, nous avons appris à être convaincus ! Nos capés, au contact des autres civilisations, ont du mal à avouer leur ignorance, ou pire encore, s’exprimer correctement dans une langue.

L’étudiant algérien (ce n’était pas le cas il y a quelques années) parti poursuivre ses études à l’étranger, a-t-il les prédispositions nécessaires lorsqu’il se retrouve pantois dans un système impitoyable ayant peu de choses communes avec celui qui l’a formé ? Dépourvu de l’essentiel, c’est-à-dire du sens de l’analyse et celui des responsabilités, il aura tardivement et à ses dépens, à travers la vacuité de ses connaissances pratiques et l’impuissance de son argumentation, compris que réussir n’est pas seulement avoir un diplôme. Cette déficience l’empêche ici en Algérie d’intégrer facilement le milieu professionnel pour lequel il est destiné. Avoir un diplôme - prenez l’exemple du bac cette année - ne lui aura pas servi à grand-chose, pas même à avoir un niveau intellectuel correct, quant aux entreprises, elles éprouvent le manque d’initiatives de ses managers comme un sérieux handicap.

Mon père, n’ayant même pas réussi sa sixième du temps de la France, savait quand même rédiger une lettre. Je revois son image des heures durant, plongé dans son journal avec ses grosses lunettes de presbyte, manifestant de temps à autre des signes de désolation. En lisant une de mes étudiantes un jour, les fautes de français qui ont bourré sa copie donnaient à sourire. Le fou rire passé, je me suis dit que ce n’est pas de sa faute ; enfin pas toute à fait. Est-ce la fierté du système éducatif de nous fournir des bacheliers en quantité ne sachant pas trop quoi en faire ? Comment avec des élèves ayant poireauté des mois aux portes des lycées, une dernière place dans les olympiades des mathématiques, et des librairies transformées en pizzerias (le dernier exemple est celui de l’espace Noûn à Alger), interpréter et être fier de ce chiffre de 61% de réussite au bac ? (la rumeur circule déjà que l’an prochain, il sera encore meilleur). Je viens de lire que pour accéder en pharmacie, il faut avoir 15.94 de moyenne, j’ai alors imaginé un amphi plein à craquer de mention « très bien ». C’est très bien, diriez-vous, une situation que nous envierait n’importe quelle université étrangère ! Quelle aubaine pour les profs de pharmacie ! Par quel miracle s’est réveillé le génie qui est en nous ? Les parents ne sont pas dupes, il n’y a pas de quoi s’enorgueillir, ils savent que ce satisfecit est un leurre et qu’on ne fait que retarder l’échéance fatidique. Arrêtons de nous voiler la face !

Comment dans un système où la fraude tente à s’institutionnaliser, où un accès aux formations spécialisées (genre post-graduations) arrive à contourner sans scrupules l’égalité des chances, pouvoir assurer une intégrité et une crédibilité d’un diplôme ? Heureusement, il se trouve toujours quelques brillants étudiants qui s’accrochent aussi bien ici qu’à l’étranger, grâce également au milieu familial duquel ils sont issus, et qui a su préserver leur attachement à la modernité. C’est d’ailleurs pour ce noyau d’étudiants dont la vigilance objectera toujours aux pratiques qui nous font reculer qu’on a plaisir à travailler. Même les productions scientifiques ne sont pas épargnées. Censées apporter du sang neuf dans les perspectives et les retombées de la recherche, elles sont souvent redondantes et peuvent échapper à la logique ou à la rigueur scientifique. En quantité au détriment de la qualité, objets de business, écrites souvent dans le but de soutenir une thèse, elles ne collent pas avec les préoccupations majeures des entreprises économiques, ou les aspirations réelles de la société. Elles ne sont plus l’aboutissement du travail de recherche, elles en deviennent le but. Pourtant dans l’histoire des sciences, beaucoup d’exemples montrent que c’est en réfutant les thèses et les préjugés du moment fussent-ils écrits par les maîtres, que les grandes découvertes ont eu lieu ; ennemis de l’imprimature, les scientifiques refusaient d’admettre une vérité comme étant définitivement absolue. « Ce n’est pas en cherchant à améliorer la bougie qu’on a inventé l’ampoule électrique », écrit E. Brezin. A l’image de la société où la peur et la résignation ont déjà neutralisé la mobilisation citoyenne et syndicale, la disparition de cet esprit « socratique » ayant presque été constatée à toutes les échelles de la formation, l’université plus que jamais fragilisée dans sa vocation universaliste ne récolte que le produit du système.

Elle laisse ainsi la place à la médiocrité qui ne se fait pas prier pour s’installer car elle suggère désormais l’étouffement des voix discordantes, la place à un immobilisme routinier qui plombe le quotidien et bloque l’horloge du développement. Le divorce entre savoir et culture est patent, il ne faut pas s’attendre - sauf si un sursaut révolutionnaire changera notre mode de perception et nos mentalités - à l’émergence d’une génération mue par la volonté d’innover et capable d’accepter la diversité ou discuter les opinions d’autrui. Cloîtrés (dans le sens hermétiques), habitués à la fainéantise et assommés par la langue de bois, - néanmoins bien perméables aux idées noires ou d’un autre âge -, arrivera un jour où nous renoncerons de penser librement même si la démocratie nous sera offerte ! La période du terrorisme nous a suffisamment indiqué pourquoi il est si facile de manier les esprits crédules pour en faire des machines à tuer. Les populations ont dû subir le diktat des émirs autoproclamés. Niant simplement la valeur de la vie, des centaines (ou des milliers) d’adolescents étaient prêts à l’endoctrinement car n’ayant pas cette aptitude de discernement entre le bien et le mal, stigmatisant les effets et les produits du modernisme comme une matérialisation satanique. Afin d’étayer mes propos, voici un extrait typique d’un écrivain contemporain : « Le reste du monde peut faire de la science, et nous musulmans pouvant la découvrir de nouveau dans le Coran ». Au lieu de nous démontrer que les visions modernistes résonnent harmonieusement avec les crédos islamistes d’une approche réformiste qui nous pousse à travailler, on nous dit que rien ne sert de se creuser les méninges, tout a été prévu.

Sous prétexte parfois qu’il y a risque pour la croyance et pour la stabilité du système à investir les lacunes des connaissances scientifiques, cette léthargie généralisée a tué l’imagination créatrice et figé le moule de la réflexion, ainsi elle affecte la régénération des systèmes de pensée, de raisonnement et de preuve logique. Sans vouloir verser dans l’alarmisme, ceux qui malheureusement règnent en force, ce sont les adeptes de « la nature a horreur du changement ». Pour admettre qu’il est difficile de rompre avec les méthodes du passé, il n’a pas bougé depuis trente ans, pourquoi l’APN est grippée, pourquoi on maintient telle personne à son poste, sur quelle base telle autre est primée, ou alors ce qui se passe pour notre équipe de football, comment sélectionner un sélectionneur ; au lieu d’avoir des objectifs plus ambitieux d’aller de l’avant (celui de marquer des buts), on reste sur la défensive. Après tout cela, on se demande pourquoi le pays, avec toutes ses potentialités, n’avance pas ?

Plus grave encore, la prétendue croyance est une autre chape de plomb, un quitus pour accéder à certains privilèges ; ce prurit de vertu enveloppé dans du wahabisme sectaire est servi pour justifier la non -raison. Ne pouvant s’affranchir d’idéologie sous jacente ni éviter de sombrer dans une démonstration mystique ou fondamentaliste, se sont libérés au contraire tous les effluves du rejet qui nourrit la rancune, l’extrémisme et la haine ; le dogme de la pensée unique continue d’inspirer pas mal de décideurs zélés qui sentent le danger d’une dé-pérennisation. Ne pouvant résister à l’ambiance rentière, les autres qui passent leur temps à graviter autour du système clanique en attendant leur désignation portent la responsabilité de former ou gérer l’élite de la nation. « La science n’est pas un tas de faits, comme une maison n’est pas un tas de briques », disait Poincarré ; elle n’est pas un processus mécanique, elle repose sur des intuitions individuelles et des consensus ensemblistes, ce n’est donc pas fortuit si la pensée créative s’est appliquée d’abord à la pensée scientifique avant de s’étendre au domaine artistique.

Quand j’étais jeune, je jouais au legos, ce jeu danois qui stimule la réorganisation des pièces afin de construire et de donner libre cours à son imagination. A quoi jouent nos enfants aujourd’hui ? Au pistolet, au gendarme, aux jeux vidéo interdits pour leurs scènes de violence, des heures à surfer ou chatter sur internet sans la moindre utilité ou enrichissement des connaissances… tout ce qui peut abêtir les jeunes de notre époque est l’unique moyen de se défouler. Il faut rechercher peut-être parmi les causes des accidents, cette attitude de défouloir sur les routes comme l’effet d’une des frustrations vécues par les nouveaux permis notamment les plus jeunes, assimilés à des permis de tuer. Dénués de cet exercice intellectuel indépendant de toute forme de pression, celui à même de provoquer leur esprit et d’éveiller leur potentialité en matière d’intelligence, combien jouent aux échecs et aux mots croisés ? La ferveur autour des discussions ou réunions enrichissantes avec des personnalités du domaine (verrouillage médiatique aidant) décline de manière inexorable, et la jeunesse laquelle aucun ordre ne pouvait satisfaire, a perdu beaucoup de terrain, elle a perdu cette spontanéité, cette confiance en soi, et ce caractère rebelle qui a toujours fait sa personnalité. Aux rares appels à l’ouverture dans toutes ses formes, le système dans une totale indifférence lui répond par une surdité nonchalante.

Il y a des propositions de supprimer des programmes tout ce qui est jugé « superflu » : c’est-à-dire l’histoire, la géographie, la philosophie, le français,… Le raisonnement est tout simple : « Répétez après moi, répetez… » Puisqu’il s’agit d’apprendre sans comprendre, autant s’en passer. Dans cette logique, on n’a pas besoin de savoir compter puisqu’il y a la calculatrice, nos enfants vont à l’école plus pour nous faire plaisir car l’ingéniosité (ou la qafza) se mesure par la capacité d’user de la fraude pour gravir les échelons ou s’enrichir de manière illicite par des subterfuges qui violent la loi, ils établissent que les normes de la réussite sociale sont presque inversement proportionnels au nombre d’années d’études. Dans un souci d’aller vite en besogne afin d’accroitre le PIB, il faut une élite technologique, avec des connaissances très pointues, des « robots » téléguidés incapables de sortir de la sphère dans laquelle ils ont été conçus. Cela pour dire que le développement ne se résume pas uniquement en l’acquisition et la consommation des produits technologiques, clés en main, s’il nous manque le savoir-vivre, le sens de l’observation, les principes d’éthique, le civisme et le mode d’emploi. De quoi sont faits les cours d’éducation civile ou le contenu des prêches religieux ? Ont-ils une conséquence positive sur l’éducation de nos enfants et nos adultes ?

Axées sur l’enseignement civique et la culture générale en adéquation avec la réalité de l’environnement, au contraire des approches pragmatiques mettent plus l’accent sur l’instruction des relations et la mobilisation des concepts que sur les notions enseignées. Que ce soit en chimie ou dans la théorie des systèmes, les liaisons ont plus de valeur que les composants. Le diamant est fait d’atomes de carbones. La maitrise des liens entre concepts est le seul moyen d’assurer une grande stabilité, d’en intégrer de nouveaux sans faire appel uniquement à la mémoire et au « par-coeurisme » béat. Entre deux étudiants, l’un ayant récité texto sa leçon, et l’autre tenté d’en exprimer le sens, je vous laisse deviner à qui on donne présentement la meilleure note ? « L’imagination est plus importante que les connaissances », dixit A.Einstein. Les priorités de développement évoluant sans cesse, nous avons toujours essayé de les calquer sur les pays européens alors que ni nos besoins ni nos moyens humains et matériels ne sont les mêmes. Cela témoigne du fait que nous avons tendance à tout importer (ou télécharger) : les schémas stéréotypés élaborés ailleurs, les programmes de licence et master, la bureaucratie, l’obscurantisme de certains illuminés véhiculé par des livres subversifs… du bon, du mauvais avec plus de mauvais que de bon.

Des efforts démesurés sont consacrés à cette adaptation (système LMD) de modèles « standards », phénomène de mode oblige, sans une évaluation objective de tous les paramètres, sans y associer tous les acteurs et sans vision à long terme sur le plan socio-économique et des filières sont supprimées sans faire de bilan. Est-ce que nos enseignants, tous paliers confondus sont en mesure d’inculquer aux jeunes générations les bases du véritable progrès ? Avant de le transmettre aux autres, il faut d’abord le discuter, adhérer à ses principes ! Le progrès ne se décrète pas par simple auto satisfaction en dopant les chiffres si choisir n’est qu’une illusion. Les projets louables de promotion de la recherche ne trouveront des échos que si leur finalité devient la quête de qualité, l’exploitation optimale des richesses et vaincre notre isolement scientifique et culturel. A-t-on aujourd’hui, avec tous les moyens qu’on met à la disposition, des laboratoires censés être le vivier de la matière grise, un cadre adéquat et un objectif pour une mentalité de la recherche ? Quel type de chercheur pourrait bâtir l’Algérie de demain si des dispositifs liberticides jalonnent son parcours ? C’est en encourageant en premier lieu le chercheur que l’on saura assoir une politique viable et efficace de la recherche. En somme, orienter le modèle de la pensée qui se retrouve assujettie à un canevas tout dessiné, ou restreindre les déplacements à l’étranger comme vient de le prôner cette nouvelle mesure du ministère constituent des entraves à cette liberté (sujet du thème de cet article) et confortent la thèse d’un autoritarisme gangrénant.

Il ne faut cependant pas confondre liberté et anarchie ; les enseignants sauront faire la part des choses entre une organisation structurée et devant obéir à une charte, et un abus qui s’érige en monopole (même scientifique) et qui va à l’encontre de la mondialisation. Les étudiants sauront faire la distinction entre indiscipline et liberté en respectant les règlements internes et l’avis des autres, différent soit-il. Il est possible, dans la légalité, d’oser bousculer l’ordre établi, de dénoncer sans braver l’interdit, de reconstruire cette solidarité dissoute. Le Coran, loi divine et suprême, utilisé à bon escient, tout en insistant sur le respect de la chose immuable, n’exhorte-t-il pas les croyants à étudier la nature en utilisant un beau privilège spécifique à l’humanité : « la raison » ? C’est par cette même raison, et non en usant de la force qu’il faut convaincre. Contrairement à se réfugier dans le repli et sombrer dans la désuétude, c’est la démarche d’une perpétuelle investigation qui a fait la prospérité des sciences durant l’âge d’or islamique. « Beyt el hikma » ou maison de la sagesse du temps des Abbassides était une sacrée bibliothèque à une époque où les savants étaient estimés à leur juste valeur dans la société. Tout est possible, il suffit de croire au changement afin d’être un de ses artisans. Alors que nous, on veut y retourner, plusieurs pays sont sortis de leur sous-développement grâce à un déclic : « Il ne faut compter que sur soi-même ! ». Le salut c’est d’abord de se donner un but à son existence, et avant de partir le chercher ailleurs, il faut le définir. L’espoir est dans cette jeunesse qui possède cette volonté de relever le défi, j’en suis certain.

Dialogue rompu, et s’étant rendu compte qu’elle n’a rien à attendre d’en « haut », que son avenir a déjà été hypothéqué par une faillite programmée du système économique, endettée jusqu’au cou et malgré elle, elle est obligée rapidement - car le temps qui passe joue en sa défaveur - par une sorte de conscience collective, de se prendre en charge, de se regrouper autour des idéaux républicains, de refuser de se plier aux exigences parce que ceux sont des exigences dictées, de se débarrasser de cette stagnation qui a été longtemps un frein pour son émancipation - en l’occurrence de l’archaïsme et de la négation de l’autre -, de ne plus attendre aux portes de l’histoire mais d’y entrer quitte à le faire sans frapper, de créer des espaces ouverts de communication afin de promouvoir les idées, de chercher à comprendre, d’aller surfer sur les « bons sites » en prenant internet comme plateforme de libre échange intercommunautaire, de zapper sur les « bonnes » émissions TV en écoutant lorsqu’il y a un débat, de ressusciter cet amour pour la lecture que l’école a fait fuir, d’essayer des casses têtes mathématiques et les mots fléchés, de bannir ce copier-coller, de se poser des questions même si on n’a pas encore de réponses, de demander des explications parce qu’il doit y en avoir, d’avoir le courage de dire « non » lorsque tout le monde a dit « oui » (ou le contraire), de redécouvrir que le véritable patriotisme n’est pas seulement de saluer l’hymne ou le drapeau national, de réapprendre les ABC de la démocratie et surtout se sentir libre à développer ses pensées.

 

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